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30 décembre 2011 5 30 /12 /décembre /2011 21:11

Vivre plus lentement : un nouvel art de vie, Ulmer, 2010, 141 p.

A lire pour se mettre au diapason de la notion de lenteur et de la « culture slow » dont la société se fait régulièrement écho (pas de théorie ennuyeuse ou intellectuelle mais une pensée limpide, reposant sur nombres d’exemples et témoignages), pour comprendre la notion de temps perdu et surtout celle de temps retrouvé, pour les illustrations zen qui rythment le texte, pour découvrir le « slow design » ou encore les « hallucinations urbaines », facétieuses photographies de l’artiste Sandrine Boulet.

Le livre de Pascale d’Erm permet de faire doucement le tour de la question de la temporalité quotidienne, de prendre conscience du choix possible de ralentir sa vie et du refus de « s’embarquer dans [une] course folle » sans fin. Il présente les réflexions des personnalités de référence dans ce domaine (Carl Honoré, Patrick Viveret) et conte des expériences humaines enrichissantes.

Il y a un temps pour tout ou plutôt il y a un tempo pour tout, qu’il appartient à chacun de trouver pour pouvoir aller à son rythme, telle est l’idée maîtresse du livre.

C’est le « vivre « à la bonne heure » » de Patrick Viveret, qui signe la préface du livre. Nous évoluons dans une société qui presse le citron, qui fait ressentir la pression : culte de l’urgence, course folle à la recherche du profit et de la vitesse, obsession de devoir « gagner du temps ». Soumis à cette pression sociale, nous connaissons un « dérèglement de notre rapport au temps » qui nous conduit à un décalage entre le réel et le vécu. Ainsi, l’homme, grâce aux machines à économiser le temps (transports, outils technologiques domestiques et informatiques) et à la réglementation du travail (baisse progressive du temps de travail hebdomadaire) a gagné un temps de loisir considérable (pris sur le boulot, les tâches domestiques…) tout en ayant l’impression qu’il lui manque toujours du temps. Pour certains, et davantage les citadins que les ruraux, il en résulte l’impression d’être perpétuellement « en guerre contre le temps », ce qui est fatigant mentalement et physiquement.

Il est cependant possible de dire non à la rapidité, au stress, aux activités chronophages (informatique), pour se ménager des niches de lenteur, souhaitées, constructives, voire salutaires. Il s’agit de « ralentir sereinement sans perdre le désir d’avancer, de découvrir et d’explorer ». L’objectif n’est pas de gagner du temps de loisir mais du temps propre au bien-être, à la construction de soi, à l’écoute des autres, à la mise en place d’actions utiles à la société… Patrick Viveret évoque le « lâcher prise » qui permet de « se laisser habiter par le temps », le renversement des rapports entre « la Tension » et « l’Attention » au paysage, aux autres, à son murmure intérieur, à la méditation...

Le refus de suivre le « tourbillon du temps » n’est pas facile à mettre en place. Il passe par une « transformation personnelle » dont le prérequis est de prendre du recul par rapport à son train de vie et de remettre en cause certaines habitudes (pour être en mesure de considérer que « le culte de l’urgence est obsolète »). Ce choix sera plus aisé quand la transformation deviendra « collective », c'est-à-dire plus généralement admise et partagée, grâce à l’action de mouvement collectif prônant des « temps de pause à grande échelle ». Le slogan des « Décroissants » résume bien cet objectif : « Stoppez le monde, je veux descendre ».

Carl Honoré utilise le concept de « tempo giusto », qu’il met en pratique à Londres. A vivre trop vite, on oublie de respirer comme le rappelle ce « nouvel apôtre de la lenteur urbaine au quotidien ». L’ex-journaliste hyperactif explore désormais les solutions alternatives pour « recréer un rythme au quotidien plus compatible avec ses envies et ses besoins, sans perdre de son efficacité au travail ». Au passage, le lecteur note que la lenteur ne se conjugue pas avec fainéantise, paresse ou inaction…

Comme d’autres, Carl Honoré a fait un choix mais cette décision ne doit être ni subie, ni imposée à autrui. D’un point de vue matériel, ce gain de qualité de vie passe parfois par une baisse de salaire, assumée. De même, les « bulles de lenteur » qui sont ainsi créées sont librement utilisées par les souffleurs de temps. Ces derniers peuvent farnienter, passer du temps en famille ou entre amis,  s’adonner à une passion, méditer... Derrière le choix de la lenteur, il y a une volonté d’arrêter de s’essouffler qui se traduit par beaucoup de liberté retrouvée.

Dans son ouvrage, Pascale d’Erm nous fait naviguer à la découverte d’autres expérimentations, comme le label des « slow citta ». Ce réseau international d’une centaine de communes de moins de 60000 habitants a adopté une charte du bien vivre dont les éléments clés sont les transports doux, les commerces de proximité, la solidarité intergénérationnelle, la lutte contre les pollutions et les gaspillages (sonores, déchets, énergie), la démocratie participative et le bannissement des OGM et de la restauration rapide.

[La jauge de 60000 habitants laisse émerger l’idée que la lenteur est incompatible avec l’organisation d’une grande ville, perméable à la pression de la vitesse. Je pense qu’une grande ville peut faire du « slow » en misant sur des quartiers socialement et urbanistiquement équilibrés et comportant impérativement tous les services « de proximité » de base : commerces, marché, bibliothèque, gymnase/terrain de sport, mjc... Pour l’accès aux autres activités (musées, administrations, lieux de loisirs…), le réseau de transports doit pallier la distance. Par contre, si Lyon brigue un jour le modèle d’une slow citta, je doute qu’elle puisse bannir les fast-foods.]

Au détour d’un chapitre, on fait connaissance avec le nomade Sylvain Tesson qui pratique le vagabondage éclairé du globe-trotteur-écrivain, à la rencontre du monde au rythme des foulées (son moyen de locomotion est la marche). Il prend la poudre d’escampette et, « en état permanent de poésie », note ses pensées dans un carnet [ce petit poucet rêveur égrène dans sa course des rimes comme le narrateur d‘ « A ma bohème » d’Arthur Rimbaud].

Quelques pages plus loin, Pascale d’Erm présente un personnage qui laisse également les vers filer. Toutefois, ceux du patient George Toutain ne fusent pas sur le papier mais œuvrent sous terre. Le paysan est conscient que « la lenteur porte ses fruits », qu’il faut laisser la Terre mener le ballet temporel des 4 saisons, faire fructifier les variétés anciennes, considérer avec sérieux la gestion de l’eau. Il laisse cheminer le temps et s’en fait un allier. Le temps librement laissé filé, c’est celui de la nature qui vit à son rythme, loin des contraintes humaines pour accélérer sa production.

Se réaccorder avec le temps et « ne pas aller plus vite que la musique » : voila une bonne résolution pour l’année 2012 et les suivantes.

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